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Un vieux conte de sage jardinier...toujours d'actualité !

Le jardin est un lieu d'apprentissages. Un endroit où l'on se questionne beaucoup. Nous avons le temps de réflechir à notre vie. Notre jardin est un lieu de méditation. Dans le calme, notre esprit plus léger vagabonde, grâce à l'environnement paisible. Pour vous ravir, voici un conte chinois de sage jardinier :

Tseu Kong, brillant disciple de Confucius, aimait déambuler dans les villes et campagnes avec le cortège de ses élèves. Il cherchait des situations édifiantes, provoquait des rencontres susceptibles de mettre en application les principes de la sublime philosophie de son maître.

A la sortie d'un village, le philosophe aperçut un homme aux cheveux de neige qui travaillait dans son potager. Il remarqua que le vieux jardinier tirait de l'eau de son puits avec une jarre pour arroser ses plate-bandes. Le récipient était rapidement vidé et le malheureux devait faire d'incessants allers-retours. Le professeur, toujours aux aguets, tenait là une excellente occasion d'accomplir une bonne action qui fût aussi une leçon pour ses étudiants. Il cita les paroles de Jade de l'incomparable Confucius : Agissez envers autrui comme vous aimeriez qu'on agisse envers vous.

Après quoi, il dodelina ses épaules, fit entendre le froissement de ses longues manches et héla le vieil homme en levant l'index solennel :

-Oncle vénérable, veuillez pardonner un humble voyageur d'interrompre votre labeur. Me permettez vous de vous donner un conseil pour soulager votre peine ? Le jardinier, fronçant la broussaille d'un sourcil grognon vers l'aéropage de citadins, posa sa jarre et demanda :

-Un conseil ? Monsieur le Lettré s'y connait donc en jardinage ?

-Mes modestes connaissances s'appliquent à tout. J'ai beaucoup étudié, voyagé et suis au courant de bien des choses. Et notamment celle-ci vieil homme : C'est par le bien faire que naît le bien être.

-Comment ? Ne rien faire crée le bien-être ?

Le Lettré, forçant sa voix fluette, répéta sa maxime, ses mains fines aux ongles aussi longs que ses doigts en porte-voix.

-Ah ! Vous feriez bien de venir ici pour me parler alors, car avec l'âge mon ouÏe n'est plus aussi fine.

Le philosophe s'aventura dans les allées du potager, engagea la conversation avec le vieillard narquois, sous les yeux de ses admirateurs attroupés devant la clôture, désappointés de ne rien entendre de leur dialogue apparemment très animé. Un nuage blanc traversa nonchalamment la vallée. Le philosophe sortit enfin du jardin et , la mine déconfite, reprit la route pour quitter le village. Le troupeau de ses disciples se pressait autour de lui, impatient d'avoir un compte-rendu de l'entrevue. Après une marche de dix LI, où le visage cramoisi, Tseu Kong ne dessera pas les dents, il finit par se laisser choir sur un rocher. Depuis qu'il avait quitté le vieillard, il était visiblement en proie aux plus sombres ruminations. Ses élèves s'assirent aussitôt dans l'herbe, faisant cercle autour de lui, avides de boire le nectar de ses paroles.

-Mes pauvres amis, il m'a fallu tout ce chemin pour encaisser le coup de tonnerre que j'ai reçu sur la tête. Je croyais jusqu'à ce jour que mon vénéré maître était le plus grand des sages, mais j'en ai rencontré un autre sous les traits de ce modeste jardinier. Pensez donc, c'est à peine croyable, un homme qui n'a jamais étudié les Classiques, qui ne connaît des proverbes que ceux qu'il a hérité de son père, qui ne sait sans doute pas déchiffrer le moindre idéogramme, eh bien, il cache toute une science sous son aspect rustique!

Le Lettré secoua longuement et douloureusement la tête sous les yeux ébahis de son auditoire avant de poursuivre :

-Quand je lui ai expliqué qu'il pourrait creuser une rigole dans son terrain en pente pour irriguer les sillons de son potager et puiser de l'eau à l'aide d'un balancier, il a éclaté de rire et m'a répondu, justement avec un proverbe : Le grand défaut des hommes est de délaisser leur jardin pour retirer les mauvaises herbes dans celui du voisin. Comme je le pressais d'en dire plus, il s'indigna : "Pour qui vous prenez-vous? Croyez vous m'apprendre quelquechose?! Vous connaissez-vous assez vous-même pour voir la réalité ou comprendre les autres? Tenez, a-t-il ajouté, je vais vous poser une question. J'ai une voisine qui rapportait chaque jour de l'eau du fond de son jardin pour ses besoins domestiques. Elle avait deux seaux. L'un était neuf, l'autre usagé et fendu. Quand elle arrivait chez elle, le vieux seau était à moitié vide. Qu'auriez-vous fait à sa place ? Je répondis au jardinier que j'en aurai acheté un autre. Il se gaussa encore de moi. "On voit bien que vous n'êtes pas dans le besoin ! Elle n'en n'avait pas les moyens ! Elle sut pourtant se servir du défaut de son vieux seau : elle sema sur son chemin une rangée de légumes que la fuite d'eau arrosait à son passage. Voyez vous Monsieur le Lettré, il n'est pas facile de marcher dans les traces d'un autre et, pour qui sait agir en accord avec le Tao, rien ne se perd sauf peut-être, les paroles versées dans les oreilles d'un âne ! Le philosophe s'épongea le front d'un revers de manche, passa négligemment la main dans sa soyeuse barbiche et pressé de continuer par ses disciples, il reprit : Je l'ai ensuite supplié de me dire pourquoi il ne voulait pas irriguer son potager à l'aide d'un balancier. Il me rit encore au nez en me disant : "Nourrir l'ambition dans son coeur, c'est porter un tigre dans ses bras". Comme j'insistais pour que le patriarche m'éclaira, il me dévoila la profondeur insondable de son esprit. Il me démontra qu'utiliser une machine, c'était mettre le doigt dans un engrenage vicieux, provoquant inéluctablement un enchaînement mécanique de catastrophes : la rentabilité, le profit, le chômage, l'asservissement de l'homme et le pillage de la nature. Il me dit ensuite qu'il préférait arroser un à un ses choux et leur parler! Il m'affirma que cela les faisait mieux pousser tout en leur donnant un meilleur goût sans gaspiller trop d'eau. Alors que j'allais prendre congé et le remercier de cette édifiante leçon, il me demanda qui j'étais. Quand j'eus dit que Confucius était mon maître, le jardinier s'esclaffa :" ce vieux fou qui cherche la gloire en prodiguant des conseils aux puissants pour gouverner le monde? Il aurait mieux fait de vous enseigner à vous gouverner vous-même et d'apprendre à ses élèves de ne pas importuner les braves gens !" Il hocha la tête, ramassa sa jarre et me décocha un dernier trait : "décidemment, votre science confirme ce qu'on dit par ici : Un savant qui sait tout ne vaut pas quelqu'un qui sait faire quelquechose de ses mains". [...]

d'Après Tchouang Tseu, P Fauliot et P Fishman ed Seuil, "Contes des sages jardiniers"

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